L’opération policière menée à Kenskòf ce lundi, qui a permis de neutraliser plusieurs individus armés et de saisir un arsenal impressionnant, dont un objet assimilable à un projectile de mortier, marque indéniablement un succès pour la Police nationale d’Haïti (PNH). Mais derrière ce coup de filet, se cache une réalité plus inquiétante : la victoire ponctuelle de la PNH ne saurait masquer l’effritement structurel de l’autorité de l’État.
Le constat est clair : l’opération a été efficace, méthodique et relativement sobre dans sa communication. Pas de mise en scène tapageuse, pas de triomphalisme : uniquement des résultats tangibles, images à l’appui. Dans un pays où l’opinion publique est habituée aux promesses sans lendemain, cette sobriété a renforcé la crédibilité de l’action. Les citoyens, fatigués de l’impunité généralisée, saluent cette percée comme une bouffée d’air frais.
Cependant, la découverte d’un possible mortier dans les mains de civils armés pose une question grave : comment, dans un État officiellement souverain, des groupes criminels peuvent-ils s’équiper de matériel digne d’une armée régulière ? La réponse est connue mais rarement assumée : infiltration des circuits douaniers, complicités politiques, et faillite des institutions de contrôle. Tant que ces racines profondes de l’armement illégal ne sont pas attaquées, chaque opération policière reste une victoire provisoire dans une guerre perdue d’avance.
Le double visage de la PNH
Si la police a montré qu’elle pouvait frapper fort, il reste une interrogation essentielle : dispose-t-elle des moyens, de la continuité et de la volonté politique pour répéter ces succès à grande échelle ? Trop souvent, les « bons coups » médiatisés de la PNH apparaissent comme des éclats isolés, sans lendemain. Entre courage des agents sur le terrain et fragilité d’un commandement soumis aux pressions politiques, l’institution peine à se construire une stratégie durable.
La réussite de Kenskòf révèle aussi une tendance : celle d’une gouvernance de l’événement, où chaque opération devient une pièce de théâtre politique. Le gouvernement, en quête de légitimité, capitalise sur ces coups de force, sans jamais articuler une vision globale de sécurité publique. Résultat : la population applaudit ponctuellement, mais continue de vivre dans la peur, car aucune opération isolée ne remplace un plan cohérent de désarmement, de justice et de développement.
Oui, la PNH a remporté une bataille ce lundi. Mais tant que l’État haïtien ne s’attaquera pas aux racines politiques, économiques et institutionnelles de l’insécurité, ces victoires resteront éphémères. L’ennemi n’est pas seulement le bandit armé de Kenskòf ; c’est aussi le système qui lui permet de s’équiper, de s’organiser et de défier impunément l’autorité de la République.
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